ESRArecords

EUROPEAN SPEARFISHING RECORDS ASSOCIATION

Atún Rojo

Atún Rojo
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Atún Rojo
Referencia : 2020.08.11
National Record (France)
Scientific name: Thunnus Thynnus
Weight: 208,0kg
Diver: Guillaume Gaillard
Location: Finistère
Country: France

RECIT DE LA CAPTURE

La pêche de ce poisson sensationnel qui a eu lieu le 11 août 2020 n’a pas commencé ce matin-là, mais des mois, voir des années plus tôt.

Tous les pêcheurs sous marins qui s’y sont essayés deviennent rapidement obsédés par ce poisson. L’investissement personnel à fournir est énorme. En France, la saison se déroule à cheval sur Juillet et Août, à conditions d’avoir obtenu une bague d’autorisation de prélèvement. Durant ces quelques semaines autorisées, il faut déjà une bonne fenêtre météo, et surtout localiser les poissons. Certains bancs remontent du Golf de Gascogne en longeant la côte, d’autres sont présents à l’année dans la Manche, au large des côtes d’Armor.

En ce qui nous concerne, dans le Morbihan et le Sud Finistère, nous attendons en général l’arrivée des bancs du Sud qui suivent les sardines, les maquereaux, et les anchois, Bien sur, certains thons arrivent en avance, mais il est beaucoup plus facile de repérer de la surface une chasse de plusieurs centaines de thons qu’un poisson solitaire. Si la météo est avec nous c’est donc généralement en Août que l’action se déroule, que nos esprits deviennent obsédés par ce pélagique, ou quelques chanceux auront la chance de voir un poisson, ou plusieurs, passer dans leurs champs de vision, et les plus chanceux d’entre eux auront la furtive possibilité de tenter un tir.

Ce qui rend cette pêche aussi intense est l’attente et la préparation. De la fin de la saison au début de la suivante, il faut étudier le matériel, apprendre des techniques, étudier des montages, faire des tests, réunir le maximum d’informations des copains plongeurs pour essayer de décrypter le comportement de ce prédateur unique, cela sous entends des heures de discussions avec les copains, des heures à analyser les images filmées la saison précédente, à essayer de comprendre ce qu’on a raté, ce qu’on aurait pu améliorer. Le cauchemar de tout chasseur est de déchirer ce poisson, passer une année à se préparer pour voir un poisson repartir avec une partie du matériel, ou se libérer de la ligne est effroyable, l’idée de la faible probabilité de survie d’un thon qui parvient à s’arracher nous hante pendant longtemps. Cela m’est arrivé une fois, et j’en ai encore mal au bide de penser à ce gâchis et à mon erreur. Car un poisson qui se déchire est forcément dû à une erreur personnelle, erreur de choix de matériel, de positionnement, de précipitation ou tout simplement de tir mal ajusté. C’est pourquoi nous passons tant de temps à revoir notre montage et a faire des essais, pour faire en sorte que le jour J, lors de la demie seconde de fenêtre de tir, notre attention soit essentiellement focalisée sur le tir, et non plus à se demander si le matériel va tenir. Cela, on aura assez de temps pour y penser et s’inquiéter en suivant les bouées. Tous les poissons méritent le respect, on ne laisse pas un poisson agonisant sur l’accroche poisson, on ne prélève pas plus qu’on ne peut consommer, ce n’est pas une compétition mais une façon de vivre, c’est d’autant plus vrai avec les thons rouges qui sont les seigneurs de l’Atlantique.

J’ai commencé à chercher le thon en 2018, je n’avais pas de bague, mais je n’avais pas non plus de matériel, je cherchais simplement le thon afin d’apprendre à le connaître, j’ai passé une saison entière à le traquer, de Juillet a Septembre, des centaines d’heures durant, pour seulement quelques apparitions sous marine furtives. Mais suffisantes pour commencer à m’équiper durant l’hiver.
La saison suivante, en 2019 c’est un peu plus aguerri que je suis retourné sur ses traces, avec une bague cette fois. Une dizaine de sorties plus tard, mon binôme, qui lui aussi avait une bague, validait son premier tir, et son premier poisson, explosion de joie et validation du montage que j’avais passé tant d’heures à imaginer. Jusqu’au jour suivant ou j’ai décroché un thon, le matériel était opérationnel, le chasseur moins, dans la précipitation, j’ai tiré de trop loin et l’ardillon n’a pas traversé, j’ai bon espoir que le poisson ai survécu a ce tir vu la distance et la faiblesse de l’impact, mais l’ignorance de cette certitude continue de me faire culpabiliser.
Enfin arriva la saison 2020, le matériel était testé, éprouvé, nous avions une confiance presque totale dans notre équipement, même si le risque 0 n’existe pas, nous avons fait en sorte de le réduire le plus possible. Les réseaux aidant, nous avons suivi la route des bancs de Thons rouge qui remontaient vers la Bretagne, et le 11 août nous avons fait cap vers une zone au large du Finistère Sud ou des chasses de milliers de fou de bassans avaient été aperçus la veille.

Départ a 04h30 afin d’arriver sur zone avant le lever du soleil, et avant l’arrivée du vent. Il fait encore très sombre, mais les oiseaux se regroupent déjà, nous les suivons quelques minutes et les voila qui ont repéré un banc d’anchois. Mon binôme saute à l’eau avec tout le matériel, il aperçoit des thons qui fusent a des vitesses hallucinantes, sous l’eau, c’est digne d’un reportage du National Géographique, les thons, dauphins, peaux bleus, rorquals, fous de bassans, fulmars et sternes se livrent à ce que la nature sauvage a fait de plus beau. Au milieu de tout ces prédateurs au sommet de la chaîne alimentaire le pêcheur sous marin ne représente rien, dans l’agitation et le vacarme les animaux ne nous calculent pas, il est question de leur survie, eux ne sont pas la par passion, mais par nécessité. Dans tout cette effervescence il est très difficile de s’octroyer une fenêtre de tir, tout est question d’expérience, de placement, et une bonne partie de chance pour espérer qu’un thon ralentisse légèrement dans l’axe de tir. Ce qui n’arrive que rarement, et c’est pourquoi mon binôme remonte sur le bateau quelques minutes plus tard, mélangeant une sensation de frustration et d’admiration, un duo de sentiment qui colle à la peau des pêcheurs de thons.

Quelques minutes plus tard, la chasse des milliers d’oiseaux explose à nouveau à quelques centaines de mètres de notre position, ces instants sont éphémères, tout au plus 2 à 3 minutes, il faut faire vite. C’est à mon tour d’aller dans l’eau, le temps d’arriver, la chasse s’est déjà calmée, mais je persiste à sauter dans l’eau en repensant à l’expérience de mon binôme qui venait de plonger en pleine chasse sans pouvoir assurer de tir face à la vitesse des poissons en action de chasse. J’espère au fond de moi arriver suffisamment tard pour que les poissons aient ralenti, mais suffisamment tôt avant qu’ils sondent puis remontent sur les anchois a plusieurs centaines de mètres.

Je palme de toutes mes forces en direction d’une zone ou un oiseau vient de plonger à une dizaine de mètres de moi, il n’y a plus qu’une poignée d’oiseaux, la chasse va s’arrêter dans quelques secondes. En palmant j’aperçois un premier thon passer 7 ou 8 mètres sous moi, a sa vitesse je devine qu’il ne chasse pas, il est venu m’observer par curiosité, il disparaît rapidement. J’essaye tant bien que mal de reprendre mon souffle, de calmer mon rythme cardiaque qui atteint des sommets a cause de l’adrénaline. Je sais d’avance que ma prochaine apnée sera courte, une minute tout au plus tant je n’arrive pas à garder mon sang froid, mais c’est pareil pour tout le monde, et cela peut parfois suffire. J’entame ma descente et m’arrête vers 12m. Au delà la visibilité est trop sombre, le soleil étant encore bas dans le ciel. Je me stabilise, et écoute, il y a encore du bruit, j’entends des dauphins, et j’ai une sensation de vrombissement sourd dans la cage thoracique, comme si l’eau vibrait sous la puissance de centaines de thons sous moi, la, dans le noir.
Je vois trois dauphins qui sortent de la brume, et qui s’approchent de moi, me confortant dans l’idée que la chasse est finie, mais que les prédateurs sont encore la. Mon rythme cardiaque commence à s’apaiser, comme souvent, on est mieux au fond qu’en surface. J’apprécie le moment et la visite de ces dauphins curieux et bienveillants. Je ressens soudainement une présence sous moi, je tourne la tête sans bouger le fusil et je repère un thon, énorme, qui avance vite, il va passer dans l’axe du fusil, et à portée de tir, sa tête est dans l’axe, je me retiens de tirer, certaines parties de la tête sont dures comme du chêne, ma flèche ricocherait et ne ferait que le blesser. Il continue sa course et je tire dans ce que j’estime être le haut de la queue, j’aurais voulu tirer plus en arrière encore, mais tout cela se déroule en moins d’une seconde et j’ai tiré au moment que j’estimais le plus opportun. Sous l’impact, le poisson vrille, alors que je ne voyais jusque la que son dos massif et sa tête en forme d’énorme ogive, il m’offre une vue sur son flanc, il est énorme et magnifique. Je remonte en surface, ne pouvant retenir ma joie j’hurle à peine sorti de l’eau, balayant d’un seul coup tous les protocoles de sécurités lors d’une remontée en apnée, mais la tension est trop forte. A peine remonté la première bouée reliée a la flèche passe devant moi à toute allure, le poisson est accroché. Je remonte sur le bateau, et une longue attente commence, le poisson fait cap vers le large, pendant presque 2h nous le suivons sans remarquer le moindre signe de faiblesse. Chaque fois que nous sautons dans l’eau pour essayer de tirer sur la floatline et juger son état de fatigue, il nous arrache la ligne des mains en un puissant coup de queue. Il est quelque part au fond, par 80m d’après le sondeur. Les deux premières bouées de 11L sont totalement immergées, comme si elles n’offraient aucune résistance, la dernière bouée de 30L est notre seul repère. Au bout de 2h la bouée semble finalement s’arrêter. Le poisson est mort, au fond. Il est si massif que les deux autres bouées ne le remontent pas, il va falloir le hisser à la force des bras. Avec l’adrénaline je le remonte de 80m a 20m avec énergie, mais les ligne sont tellement tendues et fines qu’elles me brûlent les doigts. Mon collègue descend alors nouer un bout autour de la queue. J’attends sa remontée avec impatience, il sera le premier de nous deux à voir la bête de prêt. Je ne suis pas déçu, à peine franchi la surface il lance « il est monstrueux ! Il est monstrueux », il a les lèvres bleues, lui, l’apnéiste aguerri a tellement été scotché par le poisson qu’il vient de voir que son cœur s’est emballé et l’a poussé au bord de la Samba. Après avoir repris ses esprits nous appelons le bateau, piloté par la compagne de mon binome qui a vécu toute l’action avec autant d’adrénaline que nous. Elle approche en douceur et nous nouons la corde à un taquet. Nous prenons alors conscience que ça y est, le poisson est sécurisé, nous ne le perdrons plus. Nous hissons le poisson sur les derniers mètres et admirons sa taille, il est magnifique, énorme. Nous ne pouvons que ressentir un profond respect pour un tel géant, c’est la première fois que je pêche un poisson de ce gabarit, et j’ai ressenti à ce moment la beaucoup d’humilité, et de gratitude. C’est un sentiment bizarre, nous prenons le temps de réaliser ce que nous sommes entrain de vivre. Ce roi de l’Atlantique nous a offert sa vie, je ressens un peu de gêne, qui suis-je pour me permettre d’ôter la vie a une merveille pareil. Encore plus que d’habitude je ressens le besoin d’honorer cette prise, tout doit être fait pour s’assurer qu’il ne soit pas mort en vain.
Nous rangeons rapidement le matériel et décidons de le hisser à bord après l’avoir saigné, heureusement, mon binôme est une force de la nature et nous arrivons à monter la bête à bord sans trop de difficultés. De le voir la, sorti de l’eau, nous réalisons d’autant plus son gigantisme. Il fait déjà chaud, il ne va pas falloir trainer pour rentrer si nous ne voulons pas prendre le risque d’abîmer la qualité de sa viande. Nous mettons le cap sur le port de pêche ou notre véhicule est stationné, port de pêche ou travaille régulièrement mon binôme. Arrivé au port nous demandons directement à un docker si il est possible de récupérer de la glace afin de protéger le poisson le temps du trajet retour jusqu’à la maison. Devant la taille du thon, les ouvriers de la criée nous proposent de le peser, j’espérais vraiment une telle proposition sans oser la demander. Nous le sortons à l’aide d’une grue, le déposons sur palette et un fenwick va le déposer sur la balance. Explosion de joie lorsque le responsable de la pesée nous annonce 221kg avec la palette, soit 208kg net ! Nous sommes presque sur de battre un record… Le poisson au frais dans la criée, nous prenons le temps d’appeler quelques copains qui nous confirment qu’il s’agit la d’un record de France. Après avoir mitraillé la balance de photos, nous redescendons le thon dans le bateau à l’aide de la grue, et recouvrons le poissons d’une centaine de kilos de glace. Nous retournons au véhicule, il fait déjà 32° et nous avons encore une heure de route. La glace nous accorde un sursit mais il va falloir faire vite. Sur la route, mon collègue appelle son voisin, qui nous attends à l’arrivée avec ses amis et tous les enfants du quartier. Le voisin est venu avec une mini-pelle ce qui nous permets de descendre le poisson facilement. Travaillant dans les criées du Sud Bretagne, mon collègue dispose également d’une table de criée, capable de recevoir ce poisson de 200kg sans plier. Nous commençons la découpe rapidement à l’ombre des arbres après avoir mesuré le poisson, équipés de jets d’eau et d’autant de couteaux que nous avons de mains, nous ne voulons absolument pas perdre un gramme de chair, que ça soit à la découpe, ou en raison de la chaleur. Heureusement, tous les amis et voisins mettent la main à la patte et nous aident à emballer la chair dans des sachets et a tout mettre sous vide, tout le monde participe, les enfants aussi, c’est un moment de partage fantastique, nous racontons l’histoire pendant la découpe, et expliquons les subtilités de préparation d’un poisson de cette taille, longes, ventrèches, tout est découpé et emballé proprement et réparti dans tous les frigos disponible du quartier. C’est un vrai bonheur de partager ce moment avec tant de monde, même des voitures s’arrêtent en passant devant l’atelier de découpage et viennent prendre des photos et admirer cet animal majestueux. Nous sommes partis le matin à 04h30, avons pêché le poisson aux alentours de 8h, et avons fini de le préparer et de nettoyer le matériel à 18h. La journée fût longue et éprouvante. Ramener un tel poisson jusqu’au bateau est déjà une sacrée histoire, mais l’après est tout aussi prenant et exigeant si l’on veut respecter l’animal comme il le mérite. Nous avons eu la chance de profiter de glace au port de pêche, d’avoir pu le faire peser, et d’avoir accès à une mini pelle à la maison ainsi qu’une solide table de découpe, sans tout cela, l’histoire aurait pu prendre une tournure beaucoup plus complexe.
Pour conclure, cette journée restera gravée, ce fût un bonheur et une chance de partager ça avec mon binôme et sa compagne, de vivre cette journée exceptionnelle à seulement quelques kilomètres de la maison, alors que certains chasseurs dépensent des dizaines de milliers d’euros pour aller pêcher le thon à l’autre bout du monde. La Bretagne a une mer riche et belle, et le respect est dû à chaque prise.
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